Dans leur foyer décrépit, des travailleurs migrants se révoltent

La colère des occupants du foyer de travailleurs migrants de Rosny-sous-Bois a passé un cap, ce mardi. Reportage et vidéoPar Erwan Manac’h  - 20 novembre 2013

Ils ont déposé un jour de congé pour bloquer leur foyer. Une première. Dès 8 h du matin ce mardi, les occupants du foyer de travailleurs migrants de Rosny-sous-Bois s’étaient postés en rangs serrés dans le hall du bâtiment, portes barrées.
Ces travailleurs originaires d’Afrique subsaharienne dénoncent la vétusté des lieux et le forcing engagé depuis la fin de l’été par le gestionnaire. L’acheminement catastrophique du courrier les a décidés à muscler leur mobilisation.


Il y a trois mois, les numéros de chambre ont disparu des boîtes aux lettres. Seuls les noms, et un code incompréhensible pour les résidents, servent aujourd’hui à la distribution du courrier. « Cela pose d’énormes problèmes, parce qu’il y a des résidents qui ont le même nom », explique l’un d’eux dans l’entrée du foyer. « Le facteur n’arrive plus à s’en sortir », ajoute Sako Dary, délégué des résidents, qui travaille comme cariste au Bourget. Fiches de paie, pension de retraite, documents officiels, recommandés : une partie du courrier est déposée en vrac dans une caisse posée à l’entrée du bâtiment, qui compte 332 chambres.
Le directeur opérationnel du gestionnaire du foyer, Coallia, réfute pourtant tout dysfonctionnement : « Nous ne distribuons plus de courrier aux “surnuméraires”[Personnes hébergées par des résidents]. C’est le seul changement et c’est cela qui leur déplaît », affirme Daniel Ferry. Une version démentie par les résidents sur place, qui revendiquent surtout les mêmes droits que les locataires lambda. « Qu’importe à qui le courrier est adressé, le facteur a l’obligation de le remettre à son destinataire du moment qu’il a un timbre », peste Sako Dary.

Issues de secours condamnées

Un autre problème, et de taille, est réapparu ces dernières semaines au foyer de Rosny-sous-Bois : le froid. Les dysfonctionnements du chauffage collectif, les vitres brisées et non remplacées, les fuites d’eau et l’humidité rendent les lieux difficiles à vivre. L’hiver dernier, les résidents ont vécu deux semaines sans chauffage ni eau chaude, raconte Mediapart. Le bâtiment de Rosny-sous-Bois, ouvert en 1978, tombe en décrépitude. À l’image du parc d’environ 680 foyers français [1] construit à partir des années 1950 pour l’accueil des travailleurs de l’immigration postcoloniale.
Les sanitaires collectifs, dans un état de délabrement avancé.
Les sanitaires collectifs, dans un état de délabrement avancé.
EM.
« Ils remettent une couche de peinture de temps en temps, mais ce sont les murs qui sont pourris », raconte Sekou Tonkara, homme de ménage chez Renault et résident du foyer de Rosny depuis vingt-sept ans. Dans une des deux ailes du bâtiment, toutes les issues de secours sont condamnées. « Cela fait quatre ans qu’Aftam[Devenu Coallia en février 2012.] est gestionnaire du foyer. Quatre ans qu’on réclame nos droits et que la situation s’empire. Même pour une ampoule il faut batailler », fulmine Sekou Tonkara.
Les foyers de travailleurs migrants en chiffres
- 60 % des résidents de foyers sont mariés au pays et pères de famille nombreuse (50 % ont plus de quatre enfants) (Source Cnav).
- La moyenne d’âge dans les foyers est de 54,8 ans (chiffre 2005).
- En 2005, la surpopulation estimée dans les foyers parisiens était de 70% (6 000 personnes « surnuméraires » pour 8 500 places, sourceHCLPD)
Le ministère de l’Immigration comptabilise aujourd’hui 90 000 travailleurs immigrés isolés vivant dans ces foyers vieillissants. Relégués dans des vases clos ethniques à l’écart de la société, avec un quotidien régi par des règlements intérieurs stricts, ne garantissant pas les mêmes libertés que les locataires du parc privé. 

Grève des loyers

« Cela fait presque six mois que certains ne payent pas leur loyer parce que leur situation est bloquée », ajoute un résident, agitant la menace d’une grève généralisée des « redevances » si le gestionnaire refusait d’entendre leurs revendications. Coallia, de son côté, fait bloc derrière la responsable d’hébergement (RH), fraîchement nommée pour gérer le foyer de Rosny-sous-Bois, qui cristallise toutes les critiques. « C’est une excellente RH, elle monte dans les étages pour réclamer les impayés, qui sont très importants dans ce foyer, 150 000 euros au total », réaffirme Daniel Ferry.
L’association d’hébergement social assure aussi que des travaux sont menés dans la mesure de ses moyens et qu’elle « commence à entamer les démarches pour la réhabilitation complète du bâtiment »« Il nous faut du temps pour réhabiliter le parc des foyers », assure Daniel Ferry. Pour le résident, la « redevance » comprenant le loyer et les charges, est en légère augmentation, environ 10 euros par an, à 361 euros par mois.

Conditions de vie « indignes » dans les foyers français

Un plan de traitement des foyers de travailleurs migrants lancé en 1997 touche à sa fin en décembre 2013, sur un constat d’échec. Les besoins restent énormes et les 258 foyers rénovés ont été transformés en « résidences sociales », ouvertes à un public plus diversifié. La cohabitation n’est pas simple. « Ce sont des “fourre-tout sociaux” qui font cohabiter des travailleurs avec des personnes relevant des hôpitaux psychiatriques », raconte Danielle Mainfray, coordinatrice du Collectif pour l’avenir des foyers (Copaf) pour les foyers Adoma [2].
Une mission parlementaire sur les migrants âgés dénonçait également en juillet 2013 les conditions de vie « indignes » dans les foyers de travailleurs [3]. « Trop rarement, leur accès aux droits, et notamment aux droits sociaux, est effectif. Trop fréquemment, leur état de santé justifierait de recourir à des soins qu’ils ne sollicitent pourtant pas, par méconnaissance des dispositifs autant que par retenue », lit-on notamment dans le rapport d’information de la mission présidée par Denis Jacquat, député UMP de Moselle. Le plan de traitement « a pris un retard considérable », déplorent aussi les parlementaires.
  
À Rosny-sous-Bois, une réunion de travail est prévue (de longue date) à la mairie jeudi 21 novembre entre les délégués des résidents, Coallia et la municipalité. Coallia a également convoqué des représentants de la coordination des foyers, au siège de l’association lundi 25 novembre, mais refuse pour l’heure de revenir à l’ancien mode de distribution du courrier.

[1] Recensement 1997, source Assemblée nationale.
[2] Trois gestionnaires se partagent le parc de foyers : Coallia, Adoma l’ex Sonacotra, et l’Adef
[3] Lire le rapport de la missiond’information sur les immigrés âgés créée par la Conférence des présidents, rendu public le 2 juillet 2013

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