des dégâts de la "rénovation urbaine"


L'agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) avait pour ambition de changer la physionomie de 500 quartiers, classés en zone urbaine sensible, en France. Dix ans après le vote de la loi Borloo, le bilan de ce gigantesque chantier s'avère contrasté. Tour d'horizon dans trois villes Amiens, Grigny et Vitry-sur-Seine, soumises aux projets de rénovation urbaine avec les paroles d'habitants, de travailleurs sociaux et d'élus.
Le 1er août 2003, avec le vote de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, était lancé ce que d'aucuns ont appelé "le plus grand chantier de l'histoire civile". Dix ans après, que reste-t-il de cette ambition ? Alors que, dans un livre qui vient de paraître, le sociologue Renaud Epstein dresse un bilan très critique de ce processus, nous sommes allés prendre le pouls de la rénovation dans trois villes.
Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne)
Un quartier plus aéré, mais après ?
C’est encore un immense chantier. Par endroits, des immeubles flambants neufs, peu élevés, côtoient quelques grues et engins de travaux. Le quartier Balzac de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) continue sa lente mue. « Ca fait plus de deux ans qu'on vit dans le bruit et la poussière mais en même temps, le changement était nécessaire », explique Nordine, un habitant des Marronniers, un des immeubles de Balzac. La démolition spectaculaire des tours qui logeaient 6000 personnes ne l'a pas chagriné. Elles se sont écroulées les unes après les autres en 2007, 2009 et 2012. Validée en 2006, la transformation aura coûté au total 280 millions d'euros. Plus de 600 logements sociaux ont été détruits, soit la moitié des HLM de Balzac. « Nous, ce qui nous inquiète, c'est l'après. Y aura-t-il des gardiens pour entretenir tout ça ? Aujourd’hui, c’est tout neuf mais il ne faudrait pas abandonner encore les quartiers pendant trente ans », soupire Nordine, dont l'immeuble n'a toujours pas vu la couleur de la rénovation. Ce qu’il attend ? La réfection de l’électricité, le désamiantage d'une pièce et les extérieurs délabrés.
Au centre social Balzac, des réunions entre locataires, bailleurs et habitants sont organisées une fois par mois. « Les questions sont très diverses. Ca va de comment on reloge une personne âgée qui ne veut pas quitter le quartier à l’embauche d’hommes d’entretien ou encore le montant des loyers dans les immeubles neufs», résume Forgua, habitante du quartier et animatrice. Chaque décision compte. Ainsi, lorsque la Semise (aménageur) a évoqué l’installation de parkings payants, les réactions ont fusé et ils ont du y renoncer. Il y a aussi le square « qui se transforme en piscine quand il pleut, explique Maria, de l’association de locataires. Ca fait dix ans qu’on l’attend mais ce n’est pas suffisant ! Les jeunes auraient voulu avoir un terrain de foot mais les institutions n’ont pas donné suite à cette demande…», poursuit-elle. De ce point de vue, pour Nordine, la rénovation n'est pas un miracle : « C'est bien, le quartier est plus aéré mais les jeunes restent livrés à eux-mêmes. Il n'y a rien de prévu pour eux, à part le centre social... »



Amiens Nord (Somme)
Un tissu social toujours en souffrance
A Amiens Nord, la rénovation urbaine se mène dans la douleur. Les premiers travaux remontent à 2001. Les orientations ont changé en cours de route et les retards de mise en chantier se sont accumulés. « Les immeubles de Brossolette devaient bénéficier d'une réhabilitation exemplaire, ils étaient en très mauvais état. Lorsque Fadela Amara est venue visiter Amiens Nord, elle a fait de leur démolition la contrepartie de l'enveloppe ANRU », raconte Vincent Aguano de Carmen, association chargée de documenter en images ces évolutions jusqu'en 2009. Aujourd'hui, le bilan est très mitigé : les immeubles de Brossolette sont entrain d’être démolis. Dans les bâtiments voisins, les appartements sont réhabilités. « A Calmette, l’opération touche à sa fin et les locataires sont assez satisfaits. Quant à Fafet, les appartements avaient été largement abandonnés par nos prédécesseurs. L’Etat était favorable à une démolition totale mais nous avons préféré une réhabilitation lourde», justifie Francis Lec, adjoint (PS) à la politique de la ville. Depuis les émeutes d’août 2012, ce quartier est devenu un enjeu politique de taille, surveillé de près par le ministère de l’Intérieur avec la récente zone de sécurité prioritaire (ZSP)… Des policiers, du renseignement et des arrestations. Mais quid des associations et du tissu social très affaibli ? Quid de l’accompagnement des habitants dans ce processus ? Audrey vit avec son fils au rez-de-chaussée d’un F2 à Calmette. Peu satisfaite des travaux, elle est carrément en colère de l’augmentation, avant l’été dernier, de son loyer de 30 euros. « Les matériaux utilisés sont de mauvaise qualité. L'isolation extérieure a été refaite mais chez moi, il ne fait pas plus de 17 degrés. Je ne sens aucune différence », regrette-t-elle. Reste également la barre Fafet, qui doit être divisée en trois immeubles, pour casser le trafic de drogue qui s'y est implanté. « Le problème, relève Vincent Aguano, c'est que le changement social tant attendu par les habitants n'arrive pas. La démolition des bâtiments bleus a laissé place à un square entouré de grilles. A la fin des années 90, l'OPAC avait promis des commerces et des services dans les rez-de-chaussé. Il n'y a jamais rien eu...».


Grigny (Essonne)
Ouvrir la Grande Borne sur le reste de la ville
« La rénovation ? Elle était nécessaire, puisque personne n’a mis un sous ici depuis quarante ans. Il y avait une aspiration profonde de la population pour l’entretien des immeubles. En même temps, nous étions inquiets sur ce qui se préparait… » Voilà résumées par Bernard Moustraire, de l’amicale des locataires, les paradoxes liés à ces chantiers de longue haleine. A la Grande Borne, quartier de Grigny de 13 000 habitants, la rénovation a commencé en 2007. Et le chantier devrait se poursuivre encore quatre ans. Parmi les objectifs : le désenclavement, la réorganisation des espaces publics et la rénovation d’équipements existants. La réfection des appartements urgeait avec la mise aux normes électrique, la réfection des pièces humides et la suppression de vide-ordures. Sauf que les travaux n’ont pas toujours été bien menés. « Les gens se sentent lésés sur les finitions mais il faut voir la lourdeur du système. Il n’y a pas eu une opération de rénovation mais 250, avec à chaque fois, des entreprises différentes », raconte le président de l'amicale. Les habitants ont bataillé contre le bailleur sur des choix jugés contre-productifs. « Nous nous sommes battus contre l’ouverture des coursives qui favorisent le trafic de drogue. Le bailleur n’a rien voulu entendre. Aujourd’hui, tout le monde s’aperçoit que c’était une erreur. C’est infernal à gérer.»
Raymonde Rogow, adjointe (PCF) à l’habitat, raconte comment la ville a fait valoir la spécificité de ce quartier, avec des petits immeubles de 4 étages et des logements spacieux : « Le projet urbain, c'était d'ouvrir la Grande Borne au reste de la ville. Nous avons profité de cette occasion pour y faire entrer les transports, avec un bus qui circulera dans le quartier en site propre. C'est essentiel pour se rendre au travail ou pour en chercher». Et puis les services publics, de moins en moins présents, vont revenir : « Nous aurons un pôle de services la Poste, la CAF et le bailleur aussi qui aura à nouveau un espace dans le quartier. L'argent de l'ANRU nous a permis de rénover des écoles. Les travaux vont commencer pour le gymnase du Méridien. On espère toujours faire valoir la construction d'un nouveau conservatoire ! », affirme l'élue.
Ixchel Delaporte   13 mai 2013
photos Patrick Nussbaum/ La Forge/ DR

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