69, rue de Sèvres


 (Mis à jour:  après la décision de justice)

ENQUÊTE Le collectif Jeudi noir qui avait squatté cet immeuble parisien, toujours vide, n'a pas complètement obtenu gain de cause en appel.  Par MARIE PIQUEMAL

C’est un petit immeuble étroit de cinq étages, à la façade décrépite. Il ne paye pas de mine mais est idéalement situé dans les quartiers chics de Paris, juste en face du Bon marché dans le VIe arrondissement. Le rez-de-chaussée est un pas-de-porte idéal pour un commerce. Les étages, des deux-pièces de 50 m2 potentiels... Mais voilà, la devanture est murée, la porte d’entrée barricadée avec des planches en bois. Il reste deux boîtes aux lettres, sans nom, défoncées et taguées. Aucune trace apparente de vie. L’immeuble est vide depuis une dizaine d’années, au moins.
Paris, le 12 mars 2009. Dans le squat, 69 rue de Sévres à Paris.
mars 2009.  69 rue de Sévres  (Photo S. Calvet pour Libération)
Le 69, rue de Sèvres est devenu un symbole des bâtiments laissés vacants dans Paris alors que la crise du logement n’a jamais été aussi aiguë. En avril 2008, huit jeunes précaires du collectif Jeudi noir, qui milite pour les réquisitions, avaient squatté le bâtiment pendant quatorze mois avant d’être expulsés et poursuivis en justice par la propriétaire, une dame âgée de 78 ans qui selon les informations du cadastre, serait domiciliée en Belgique.

La cour d’appel de Paris a confirmé le premier jugement mais a raboté les indemnités exigées. Les occupants sont désormais tenus de verser 22 500 euros au propriétaire. En première instance, le juge avait eu la main lourde les condamnant à 88 000 euros d’indemnités. «Ces 88 000 euros correspondent au préjudice économique qu’aurait subi la propriétaire, empêchée de louer son immeuble. Sauf qu’à aucun moment, ni avant l’arrivée de Jeudi noir, ni après leur départ, elle n’a eu l’intention de le louer ! L’immeuble est toujours vide», s’indigne Me Pascal Winter, l’avocat des jeunes squatteurs. «C’est d’ailleurs une caricature. La plupart du temps, dans les affaires d’immeuble vacant, les propriétaires donnent toujours une explication, trouvent un prétexte. Là, même pas. Son discours, c‘est "Je suis chez moi, je fais ce que je veux".»

Inoccupé depuis des lustres

Depuis quand cet immeuble est vide? Difficile d’avoir des informations précises. L’avocat de la propriétaire, Claude Pallussière, refuse de s’épancher. «La question n’a pas de sens juridiquement. Que l’immeuble soit vide depuis trois semaines ou depuis trente ans, cela ne change en rien le fond de l’affaire. Squatter, c’est occuper illégalement un bien d’autrui. C’est un acte condamnable. Point à la ligne.» Selon Jean-Marc Delaunay, l’un des anciens squatteurs de la rue de Sèvres, le rez-de-chaussée était occupé par une pharmacie jusqu’en 2004 ou 2005. Mais les étages, eux, seraient vides depuis beaucoup plus longtemps. «Peut-être vingt ou trente ans, assure-t-il. Je me demande même si les deux derniers étages ont un jour été habités.»
Quand ils sont rentrés pour la première fois dans l’immeuble, il y a cinq ans, les jeunes de Jeudi noir ont trouvé les deux derniers étages en travaux... «Mais à voir les matériaux et les outils utilisés, le chantier ne venait pas de commencer. Les interrupteurs, la plomberie... Tout datait des années 80.» Le premier étage n’était pas en meilleur état.«Apparemment, un vieux monsieur vivait là, il y a très longtemps. On a retrouvé des affaires. Il n’y avait même pas de toilettes.» Le deuxième étage aurait, lui, été occupé par une section locale de la CFE-CGC, toujours d’après Jeudi noir, sans que le syndicat soit en mesure aujourd’hui de le confirmer. «Les dix dernières années, c’est sûr que non. Mais avant, ce n'est pas exclu», répond le syndicat.

La propriétaire ne veut pas vendre

Quoi qu'il en soit, cet immeuble est toujours vide aujourd'hui. Christophe Driesbach, de Jeudi noir, sourit: «Pour tous les bâtiments que l’on a occupé, c’est chaque fois pareil. On se fait expulser mais ils restent vides après notre départ. L’immeuble, place des Vosges, c’est la même histoire. 1500 mètres carrés, toujours vides».
La propriétaire du 69, rue de Sèvres n’a pas souhaité répondre à nos questions. Selon son avocat, elle ne souhaite ni vendre, ni louer son bienDans le quartier, les commerces alentours voient défiler les promoteurs immobiliers intéressés pour racheter l'immeuble. «Ah ça, elle n'aurait pas de mal à le vendre! En plus, les prix du quartier ont flambé, témoigne une commerçante. On renvoie les promoteurs vers la Chambre de commerce, on ne connaît pas la propriétaire. Elle ne vient jamais par ici.»
«Comment peut-on accepter que des immeubles entiers restent vides alors que des personnes dorment dans la rue», questionne l’avocat de Jeudi noir. «Attendez, on parle là d’un immeuble de 250 mètres carrés, c’est tout petit», rétorque l’avocat de la propriétaire.

Pas dans la liste des immeubles réquisitionnables...

Le droit de propriété a-t-il des limites? La cour d'appel devait répondre à cette question. «Nous n’avons pas encore entre les mains l’argumentation de la cour mais, même si les indemnités ont été baissées, cette décision reste punitive, regrette Jean-Marc Delaunay. On espérait que le juge aille jusqu’au bout de la logique en reconnaissant qu’il n’y a pas eu de préjudice...»
Sur le terrain politique, le gouvernement a posé des limites au droit de propriété. La ministre du Logement Cécile Duflot s’est engagé à réquisitionner les immeubles laissés vacants. Sauf qu’en l’espèce, vérification faite, l’immeuble de la rue de Sèvres n’est pas dans la liste des bâtiments visés. «Il ne rentre pas dans le champ d’application de la loi de 1998 sur les réquisitions car le bâtiment appartient à une personne physique... Et non à une société ou une institution», indique la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement.
A la mairie de Paris, Jean-Yves Mano, en charge du Logement, bout.«Cet immeuble est devenu symbolique et vous savez combien les symboles sont importants.» Il assure avoir proposé à plusieurs reprises à la propriétaire de racheter l’immeuble pour en faire des logements sociaux. Elle n’a jamais répondu. «Nous avons repris contact avec son conseil il y a deux mois. Pour l’instant, toujours pas de réponse. Ce dossier pose une question de morale. Est-ce que la propriété privée est au-dessus de tous les droits?» La Ville de Paris a par ailleurs demandé à l'Etat d'étudier la possibilité d'une réquisition en vertu d'une ordonnance de 1945 qui permet, à la demande d'une collectivité locale, la réquisition d'un immeuble laissé vide depuis plus six mois. La demande n'a toujours pas aboutie.

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